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On dit qu’à Warneton il n’y a que des vrais pilotes, alors ce samedi matin je m’imagine dans leur peau, mais en plus beau. Les quelques kilomètres à parcourir sont idéaux pour m’immerger dans le sujet. Sur des routes de campagne, je suis au volant de mon bolide. Ce monstre mécanique rugit : 1.6 litre, diesel, 90 chevaux. Sans aucun doute, il est taillé pour la compétition. Tel Niki Lauda lancé à la poursuite de James Hunt, je sillonne la Flandre profonde à vive allure. Et merde, un radar. Bon, disons plutôt à allure acceptable maintenant.
Au cœur d’une flore typiquement régionale, cerné par des champs de Prim’Holstein, je l’aperçois. Il trône là, tel un roi blanc vêtu de sa couronne d’acier. Qu’il semble beau ce circuit. Sprint final et me voilà arrivé. Petit frein à main de circonstance, je sors au ralenti de ma voiture en enlevant mes lunettes avec une classe toute américaine. La musique de Top Gun résonne dans ma tête. Appelez moi Maxime Maverick Bressel ai-je pensé presque tout haut. Après deux pas j’embourbe mes chaussures neuves. Appelez-moi couillon plutôt. Je n’en démords pas. Une démarche franche, un calepin et un crayon à la main, j’avance vers ce « Warneton Speedway », colossal panneau étoilé rouge et bleu qui rappelle étrangement ce profond patriotisme Yankee un peu kitsch. Je me présente à la forme, que je suspecte être féminine, cachée derrière la vitre grisée du guichet et demande Roland Vandermeersch. Après quelques mots d’un bel accent flamand, échangés au talkie-walkie, elle m’invite à visiter les lieux en attendant mon hôte. Et oui c’est un week-end de race, le General Manager n’a pas une minute à lui.
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Essais libres
Des lunettes rondes subtilisées à Jean-Pierre Coffe, une sublime casquette à la gloire de la piste, il est là. L’homme qui m’ouvre les portes de ce monde de gommes brûlées et de tôles froissées, cet ancien pharmacien belge, c’est le fameux Roland. « Quelle classe ! » me dis-je. Son bureau est au cœur de la piste, à côté d’un camping-car haut de gamme où il a élu résidence. Cette caravane est plus grande que mon appartement, et il y a même un petit jardin !
Installé sur ce qui semble être une table de réunion, j’observe les coupes qui scintillent le long d’une étagère. Ces vestiges d’un passé glorieux servent maintenant de pots de fleurs. « Vous n’êtes pas comme les reporters habituels je le vois bien ». Je suis démasqué. « On a reçu quelques journalistes au fil des ans, AB Moteurs entre autres, vous en faites partie ? » Comment lui expliquer que ma seule expérience du monde automobile se résume à une voiture téléguidée reçue le jour de mon huitième printemps. En vérité, je suis ici pour nourrir ma curiosité, pour participer à cet exutoire dominical. Je veux comprendre le stock-car, où l’amour de la destruction se mêle à la passion de la vitesse.
« Warneton a ouvert en 1980 et les moteurs vrombissent en continu depuis », m’explique Roland. Il accueille même le championnat européen. Je n’arrive pas encore à comprendre l’ampleur de la chose. « Tout ça, c’est inspiré des États-Unis. Ça vient d’une époque où les contrebandiers voulaient semer la police avec des voitures de série plus légères. Puis ils ont créé des courses entre eux pour s’amuser. »

Pour avoir plus de force à l’impact, les bangers d’une même équipe se poussent.

Un tour d’honneur dans la start-car étoilée pour les vainqueurs
Ça a de la gueule en tout cas. Je me suis aussitôt vu au volant de la fameuse General Lee, à essayer de lourder une flopée de policiers me collant aux basques. Un vrai dur dans ma petite chemise bien boutonnée. Mais à Warneton, plusieurs catégories s’affrontent sur cette piste de la CAMSO. Ce n’est pas une piste réservée aux petits péteux venus se pavaner au volant de leur bolide aérodynamique en plastique et bien polishé. Ici, ils ont trop peur de se mesurer au muret blanc d’1 mètre 50 qui surplombe le cercle de 420 mètres de long, me raconte Roland. Seuls de vrais psychopathes, drogués au danger et à l’adrénaline, viennent se frotter au métal en mouvement et s’éclater contre ces murs. Les privés car correspondent le mieux à l’idéologie qu’un bon Français comme moi se fait du stock-car. Les voitures sont « à essence, d’origine et généralement très bon marché, entre 50 et 200 euros » pour que tout le monde puisse participer et s’affronter « à bon compte et sans frais. » L’idée est géniale, pourtant je déchante vite. Roland m’annonce que les contacts ne sont pas autorisés dans cette discipline. Son regard rieur et les morceaux de ferraille que j’ai vus en arrivant me laissent supposer autre chose. Moi qui pensais que la démolition était le maître mot… Mais alors, à quand la boucherie mécanique, à quand la détérioration de la tôle suite à un choc frontal ? Merde, je croyais voir du spectacle, je me sens trahi.
Voyant ma légère incompréhension, il me présente les Bangerstoxs et les Bangers, les catégories « d’élite ». Pour la première, même principe que les privés cars avec un contact légèrement autorisé. Ça sent bon la testostérone. Il me promet des courses endiablées où les pilotes n’ont qu’un seul but : sortir leurs concurrents de la piste. C’est les Bangers.
Seuls de vrais psychopathes, drogués au danger et à l’adrénaline, viennent se frotter au métal en mouvement et s’éclater contre ces murs.
On y est ! On parle enfin de collision, de destruction. On parle enfin de mecs tellement tarés que le seul mot d’ordre c’est full contact. Prenez 40 participants, mettez-les dans des voitures surpuissantes et renforcées, lâchez-les à pleine vitesse sur une piste circulaire où ils sont obligés de se croiser, et attendez qu’il n’en reste plus qu’un. Des hommes, au cerveau baignant dans l’huile, lancés à 130 km/h et se rentrant dedans, c’est clairement ma came. Impressionné, je lui demande s’il y a souvent des estropiés. Roland me répond qu’il n’arrive que très rarement que quelqu’un se blesse. Selon lui, personne « n’est à l’abri d’une petite foulure mais jamais de grands mutilés. » Je suis tombé sur une population de surhommes. Ces spartiates des temps modernes peuplent les paddocks les jours de course, sauf qu’eux ne se baladent pas en slip et en sandalettes de cuir. Rien ne semble les effrayer, pas même la déflagration d’un moteur à combustion explosé de plein fouet contre le béton. J’ai hâte de les rencontrer ! Le rendez-vous touche à sa fin, le General Manager est réclamé sur la piste. Avant de partir, le Big-Boss m’invite à la course du lendemain. Rien ne peut plus me charmer. Début des hostilités : 10 heures ! Une poignée de main échangée avec ce roi-ferrailleur et je regagne la ville. Ce samedi soir-là, j’ai 8 ans et je trépigne d’impatience comme un 24 décembre avant de découvrir mes cadeaux au pied du sapin. Ce samedi soir-là, mon sapin est à Warneton. La nuit promet d’être courte.

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Qualifications
Le réveil affiche 8 heures 23, il est temps ! Je suis dans les starting-blocks. Une douche glacée et un café serré plus tard, je mets les gaz. J’emporte avec moi mon acolyte chasseur d’images, il s’est fait beau pour l’occasion. Fin prêts, nous roulons en direction de la frontière belge, tout émoustillés du spectacle qui nous attend.
Quel monde ! Partout, des voitures. Ce qui n’était qu’un champ de vaches la veille s’est transformé en un immense parking où des familles entières viennent s’agglutiner. Nous sommes arrivés au Disneyland de l’automobile, avec autant d’attente devant le guichet. J’ouvre ma vitre au gardien et lance un « Je cherche M. Vandermeersch, il nous a invités dans le paddock ». Aussi rapide que Lucky Luke, il dégaine son talkie-walkie et appelle l’intéressé. Au loin, un pot de yaourt bleu immatriculé CAMSO arrive vers nous. Je reconnais les lunettes et la casquette de la silhouette, c’est Roland.
D’un ton pressé, il nous invite à le suivre pour nous garer. Je n’en reviens pas, je roule sur la piste. Je ne le voyais pas si courbé ce virage hier. Soudain, mon imagination prend le dessus. Je me sens l’âme d’un grand pilote, à moi la pôle position. Je rétrograde, je vais le doubler ! J’ai parlé trop vite, il coupe court et nous voilà installés au cœur de cet énorme anneau de bitume. « Je n’ai pas trop le temps, faites comme chez vous. Passez une bonne journée ! » nous lance t-il. Ça tombe plutôt bien, moi qui voulais me mêler aux autochtones rapidement. C’est l’heure du bain.
« Je n’ai pas trop le temps, faites comme chez vous. Passez une bonne journée ! »
J’escalade les quelques mètres de piste me séparant des coureurs pour me hisser au sommet. Devant moi s’est installée une gigantesque casse automobile bariolée dans laquelle s’agitent, le long des rues formées pour l’occasion, des petites fourmis humaines. Merde, on se croirait dans un remake de Mad Max. Je viens d’être parachuté dans un monde post-apocalyptique à tendance punk industriel. Et ça me plaît. Je cours pour arriver le premier à l’attraction.
L’ambiance est surréaliste. Me voilà nigaud, déambulant entre des carcasses rouillées et des caravanes jaune-vert renommées Jacquie & Michel. Des familles font chauffer leur barbecue : un baril d’essence charcuté en deux et posé dans un caddie. Il n’est que 10 heures mais c’est bientôt l’apéro. À ma gauche, une dépanneuse maintient dans les airs ce qui semble être une Twingo sans roue. Au sol, un homme en marcel blanc taché de graisse meule avec hargne un essieu de train arrière. Toute la quintessence de la virilité s’échappe par effluves de ce corps en action. C’est à la limite du porno. Je détourne mon attention et aperçois un homme redressant son pare-chocs à coups de masse. « Les bourrins ! » est la seule chose qui me vient alors en tête. Plus j’avance et plus je m’enfonce dans ce rêve psychédélique. Une voiture sans capot auréolée du drapeau sudiste, un moteur fumant étalé sur une bâche de fortune, des enfants s’amusant avec un pneu éclaté entre les cagettes de bières vides… Mes yeux clignotent comme ceux d’un drogué sous LSD. Je finis par m’arrêter sur un détail : Haters, Wolf Team, Team No Limit. Ici, des équipes s’activent pour bichonner et préparer leur monture.

Un bruit strident m’éclate alors les tympans, les haut-parleurs viennent de s’allumer. C’est l’heure de relâcher les fauves dans l’arène d’asphalte, l’heure de faire rugir les pots d’échappement. Je file m’installer dans les gradins. Les privés-car entrent dans la danse ! Un bruit strident m’éclate alors les tympans, les haut-parleurs viennent de s’allumer. C’est l’heure de relâcher les fauves dans l’arène d’asphalte, l’heure de faire rugir les pots d’échappement. Je file m’installer dans les gradins. Les privés-car entrent dans la danse !
Du haut de mon perchoir, j’observe le bitume. Il ressemble maintenant à un patchwork grossier de couleurs saturées. J’y vois une sorte de macédoine ratée que l’on ne se risquerait pas à goûter. Les moteurs grondent. Ils montent dans les tours et crachent leurs entrailles. Le feu indique rouge, puis rouge et enfin vert. Dans les airs, on agite frénétiquement un drapeau à damier. Soudain, je me perds dans un vacarme ahurissant. La lourdeur symphonique de ces bouts de ferraille me laisse sans voix. Les pneus crissent, ils dérapent. Les pots d’échappement claquent. Ils ne lâchent rien. Au bout de quelques tours, les bolides se frôlent, s’esquintent, se tapent au cul. Le contact est omniprésent. Certains explosent leur pneu avant, d’autres se retrouvent le coffre ouvert.
Rapidement, les spectateurs se ruent autour de moi. Quelques tours et quelques épaves plus tard, la première course s’arrête. Je suis euphorique. Un « ça a de la gueule, putain ! » lancé à mon voisin et je me replonge dans les deux autres manches de qualification. Mon œil ne lâche pas la piste, je suis captivé. Mais le programme annonce qu’entre les privés cars et les bangers, 4 courses traditionnelles m’attendent. Des V8 émasculés qui n’osent pas égratigner leur carrosserie, très peu pour moi. Il est temps de redescendre et d’aller renifler quelques odeurs de gommes brûlées.

Un No Limit met de l’eau dans son réservoir de liquide de refroidissement.

La 913 évite les deux pilotes sortis pendant une course de privés cars.
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Surchauffe
Le paddock est en effervescence, les discussions vont bon train. Les coureurs n’aiment pas vraiment les reporters. J’interpelle un pilote tout de rose vêtu qui me lance « dans le nom de votre magazine, il y a le mot police, je veux pas avoir à faire à vous ». Puis s’en va en rigolant. Je continue et m’apprête à discuter avec deux mecs d’une même équipe. Paul, qui vient de rouler pour les privés cars, et Kévin, déçu de ne pas être inscrit à la course du jour. Ils font tous deux partie de la Team No Limit, une sorte d’escadron de la mort paradant sous les mêmes couleurs : le vert et le noir. Ça ressemble drôlement à une écurie, les sponsors d’alcool en moins, bien que la bière coule à flots. Après quelques minutes de blagues graveleuses et d’allusions misogynes, je discerne chez eux une passion dévorante pour ce sport mécanique dopé aux anabolisants.
J’ai encore beaucoup de choses à voir aujourd’hui, je leur propose de les rencontrer à l’occasion de leur préparation pour le prochain week-end de course. Les numéros de téléphones enregistrés, le rendez-vous est pris. Il ne me reste plus qu’à les suivre du coin de l’œil tout au long de la journée. Le soleil commence à me chauffer sévèrement le visage. Il est 14 heures. Je croise une nouvelle fois mon acolyte qui, comme moi, s’est fait happer par ce monde. « On graille un bout ? » lui dis-je. Il y a du choix. Le menu annonce Hamburger-Hot-dog-Boudins sur fond de drapeau américain. Nous sommes définitivement perdus dans l’espace-temps, entre Belgique et États-Unis ! La commande est lancée, deux hamburgers chimiques supplément oignons frits, une frite noyée dans la sauce andalouse et deux canettes. La panse bien repue, je sors mon programme. Après les privés cars, au tour des Bangers.
Le menu annonce Hamburger-Hot-dog-Boudins sur fond de drapeau américain.
Installés aux premières loges, prêts à réceptionner un morceau de pneu volant et à sentir la sueur des pilotes, nous écoutons Roland faire l’annonce de la course. « Aujourd’hui nous testons un tout nouveau genre de Bangers. Deux pays s’affrontent, la France alliée à la Belgique en bleu face aux Pays-Bas en rouge. Le dernier roulant remporte la victoire pour son équipe. » Place au spectacle ! Je jubile. Les voitures en piste n’ont rien à voir avec celles de ce matin. Elles sont blindées, renforcées et déjà bien entamées. « Tu as vu celle-là, comment elle fait pour rouler ? » me demande mon collègue. À l’intérieur, un H de fonte brute renforce l’habitacle, les portières sont armées de plaques cloutées. Ils sont là, les chevaliers des temps modernes. Il se pavanent dans leur armure de guerre et nous, nous ne sommes que des gueux venus assister à cette joute royale.
Les monstres se préparent et grommellent tels des ours enragés. La poussière monte sur la piste. Et dans une tempête sonore, le départ est donné. Ils se jettent les uns sur les autres, acier contre acier, à puissance égale. Le vacarme résonne dans le dôme blanc, le choc est colossal. Ces bruits me sidèrent. La tôle vole, les pneus explosent. Tout va très vite. Ils font demi-tour, attaquent, reculent et attaquent de nouveau. Je garde en mémoire qu’il « n’en restera qu’un ! » Nous sommes au cœur du combat. L’homme se jette dans la mêlée, et il en redemande ! L’asphalte subit une pluie de cadavres métalliques. Dans un dernier effort, un Français tire son frein à main et tourne sur lui-même. Des étincelles jaillissent de la jante nue qui glisse sur le bitume. Il fonce. Et avec une violence inouïe, il vient s’exploser sur le seul rouge restant, le projetant sur le muret. De la fumée s’échappe du moteur, voilà, il dépose les armes.


La France remporte la victoire. Le spectacle dans l’âme, le pilote s’adonne à des dérapages au centre de la piste. Show must go on ! En héros, il ramène la victoire chez lui. Son camp et ses spectateurs l’acclament, debout, depuis le haut des tribunes. Je n’ai pas de mots. Mon voisin bedonnant a lâché sa bière et meugle le nom du champion. Un morceau de hot-dog en provenance de sa bouche vient d’atterrir sur l’épaule de la dame d’en dessous. À côté d’elle, des mômes rejouent la scène avec leurs véhicules miniatures. « T’as vu je suis comme le 426, je défonce tout le monde ». C’est à cet âge-là que les rêves de gloire prennent vie.
Sur le champ de bataille, des cowboys enchapeautés débarquent. Dans un rodéo mécanique, ils chevauchent avec grâce leurs tracteurs rouillés. Ils viennent retirer les dépouilles inertes jonchant le sol encore chaud. L’essence qui coule des moteurs éventrés est recouverte de sable. Alors que la piste retrouve son aspect initial, le vainqueur a le droit à son tour d’honneur, à son instant de gloire. Installé dans la start-car étoilée, il déambule, le pouce en l’air et la coupe sous le bras en compagnie d’une blonde à la plastique surprenante. Je souris, on croirait un abruti, mais un abruti heureux. Et dire que je ne suis qu’à quelques kilomètres de Lille. Et dire que je n’avais pas connaissance d’un tel show, d’une telle culture. Moi aussi je veux passer mes dimanches entre odeur d’essence et de barbecue.
La journée touche à sa fin. Je repars, lourd de souvenirs et assommé par le soleil. Je salue la Team No Limit, nous allons nous revoir très rapidement. Exténué, je regarde mon ami. Le soleil a également fait du beau travail sur lui. Nous sommes sales, les oreilles remplies de poussière grisâtre, résidus de pneus et de carbone. Dans mon lit, le soir, les moteurs résonnent encore. Me voilà revenu sur la piste, les mains sur un volant, je conduis un hamburger géant. Ma mission est de foncer dans le tas de frites devant moi. Cette journée vient d’envahir mes rêves.

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Retour au stand
Quelques semaines ont passé. Ce petit voyage dans l’Amérique franco-belge m’a converti. J’ai le stock-car dans le sang, l’envie de cartonner la mémé qui n’avance pas devant moi est grande. Un nouveau week-end de course arrive. Paul et Kévin préparent leur bolide dans le hangar qu’ils louent à Comines, non loin de la piste. Ce soir, derrière une petite maison de campagne, ils m’ouvrent les portes de leur caverne aux merveilles. Paul m’attend. Ici, entre foire d’exposition et casse automobile, il y a du choix. Une vingtaine de bagnoles et autant de pièces en tout genre siègent fièrement. Je cherche justement un essuie-glace fonctionnel, ils ont peut-être de quoi me dépanner. Paul, c’est l’exemple même du bon gars. L’amusette, le mec au grand cœur qui te dépanne dès que tu en as besoin. Celui qui te fait pisser de rire quand t’as un peu trop de houblon dans le museau. Devant sa Renault 21, sa Rolls avec laquelle il roule depuis longtemps, il m’explique qu’il a toujours connu la CAMSO. Ces mecs-là, ils sont nés dedans. Paul a 24 ans et pour lui, c’est une vraie passion, celle qui te prend aux tripes « comme d’aller au foot le dimanche ». Quand il m’en parle, il se souvient des moments où il découpait des carcasses, devant sa maison avec son père, à 7 ou 8 ans. Et oui, pendant que certains jouent aux billes, d’autres manient la soudeuse et la meuleuse comme si c’étaient de simples jouets. Toute ma notion de l’enfance parfaite vient d’être remise en question.
Une voiture déboule dans la cour et s’arrête en dérapant, c’est Kévin. Du haut de ses 28 balais, c’est une vraie tête brûlée, toujours remonté à bloc et cherchant de nouvelles sensations. Les mains noircies par la mécanique mais aussi par son boulot de couvreur, c’est le genre de gars qu’on évite de chambouler. Ce n’est pas pour rien si sa team s’appelle les No Limit. Un vrai gars quoi ! Comme Paul, il est né dedans et n’a connu que ça toute sa vie. « Chaque année, quand revient la saison, mes week-ends, c’est Warneton ! » me confie-t-il. Une voiture déboule dans la cour et s’arrête en dérapant, c’est Kévin. Du haut de ses 28 balais, c’est une vraie tête brûlée, toujours remonté à bloc et cherchant de nouvelles sensations. Les mains noircies par la mécanique mais aussi par son boulot de couvreur, c’est le genre de gars qu’on évite de chambouler. Ce n’est pas pour rien si sa team s’appelle les No Limit. Un vrai gars quoi ! Comme Paul, il est né dedans et n’a connu que ça toute sa vie. « Chaque année, quand revient la saison, mes week-ends, c’est Warneton ! » me confie-t-il.
[…] c’est une vraie passion, celle qui te prend aux tripes « comme d’aller au foot le dimanche. »
Ces deux-là se connaissent depuis une paire d’années. Le père de Paul était un ami du grand-père de Kévin, tous épris de cette piste. Je comprends alors que le stock-car de Warneton, c’est avant tout une famille, une bande de potes qui se réunit chaque week-end pour s’affronter sur l’asphalte brûlant. C’est pour ça qu’est née la Team No Limit, me dit Kévin. Maintenant ils sont plus de 25, entre Comines et Saint-Omer, à défendre fièrement leurs couleurs sur le ring. Et ce hangar, c’est leur repère, leur QG. Ils y passent des soirs entiers en compagnie de leurs chéries. Paul s’ouvre une bière. Je leur demande pourquoi ils ne pratiquent pas d’autres sports automobiles. Pour lui, le stock-car c’est « une des façons les plus simples de faire la course, sans se prendre la tête et sans claquer trop de tunes » et puis « on peut se rentrer dedans ! » Pour Kévin c’est pareil, il préfère « bidouiller dans des occasions » que de « ne rien comprendre aux moteurs électroniques de maintenant. » Le radiateur est de travers car ce n’est pas le bon modèle, les joints sont faits de ruban adhésif et de colliers de serrage, le tout est attaché par des fils pour que « ça puisse bouger à chaque impact sans casser. » C’est de la mécanique barbare. Il faut le voir comme un avantage, me dit-on. Les rois du système D sont devant moi, à en faire rougir le grand Mac Gyver. Leur technique est rudimentaire, basique, mais ça marche plutôt bien. C’est toute la force de cette culture. Ce côté bestial, unique, dans lequel chacun peut s’appliquer à faire comme bon lui semble et ne pas se plier aux règles de bonne conduite. Ces gens sont libres et doués d’une ingéniosité propre à leur passion, en marge de tout. Moi, j’ai encore du mal à monter un meuble correctement. Ai-je trouvé l’école de la vie ?

Laurent n’a pas froid aux yeux, il a déjà gagné sous la neige et compte bien ramener la victoire pour les No Limit.

Au volant de son bolide, Kévin nous parle de sa passion pour Warneton. Le sourire en dit long.
En voguant sur le paddock de Warneton, j’ai découvert une espèce d’Homme hors du commun et peu connue. Au premier abord, cet énergumène est primitif, voire benêt. Mais ce bougre, qui rôde les mains tâchées, le pantalon troué et la bière à la main, se révèle être d’une outrageante humanité. Il transcende tout ce que j’ai pu croiser auparavant. Je vois en lui l’image de l’anticonformiste parfait. Il est loin de se soucier de ce que le petit bourgeois pense de lui et loin de vouloir savoir si sa montre est raccord avec ses putains de chaussures. Lui se drogue à l’adrénaline, à l’odeur de pneus et d’essence au petit matin. Cette simplicité me fascine. Il est heureux, bien que complètement fou. Fou d’une passion qui l’anime. Fou de revenir sur cet anneau de bitume après chaque crash.
Et surtout fou de ne pas vouloir montrer à cette ignorante populace à quel point l’amour de la tôle bossée et rouillée est atypique. Le stock-car est hors de notre temps, hors de notre logique.
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