Aléatoire

On vous alien

Notre monde danse tant bien que mal sur lui-même pendant qu’eux se rincent l’œil depuis les hublots de leur vaisseau spatial. Les extraterrestres n’ont jamais été aussi proches d’exécuter l’étape finale de leur plan d’invasion. Pour Jean-Charles Bourquin, spécialiste de l’étude des crop-circles, il est encore temps de leur échapper. Mais l’humanité doit, pour cela, être prête à entendre la vérité sur la plus grande supercherie de son histoire, échafaudée il y a des siècles par ces aliens manipulateurs. Lectrice, lecteur, l’éveil de votre conscience est au bout de cet article.

Photographie
Guillaume Cortade
Rédaction
Rémi Journeaux
#1 – Février 2015
Aliens

Chère Source… Est-ce que tu souhaites exprimer quelque chose ici et spontanément ? Merci beaucoup. » Alors que, telle une tête chercheuse, le stylo tendu par Jean-Charles survole le journal posé entre nous, je me dis que si l’expérience journalistique a bien quelque chose à nous enseigner, c’est que la modeste surface d’une table de café suffit parfois à accueillir le plus insolite des spectacles. Onze heures et quart, premier étage d’un café lillois surplombant la Grand Place. Dans cette ambiance de bois vernis, les éléments du mobilier révèlent leurs contours sous une lumière hivernale fantomatique. Mon imagination s’emballe. La scène accueille idéalement la projection de mes fantasmes science-fictifs. Mais je ne suis pas ici pour rêver. Si j’ai choisi d’assister au curieux numéro d’un poignet humain traçant des arcs dans le vide, c’est afin de comprendre le combat qui monopolise la vie de son propriétaire, M. Jean-Charles Bourquin. Sous mon crâne plein de cheveux, se tisse une chaîne de pensées dissonantes, fruit des brutales variations de sentiments que m’inspire cette virevoltante mine de métal. Doute : tout cela a-t-il vraiment un sens ? Curiosité : le stylo va-t-il finir par voler tout seul ? Agacement : on attend quoi… Que l’encre sèche ?…

“Le message est que nous sommes en train de tomber de cette falaise. C’est le signe d’un danger imminent lié au christianisme et aux extraterrestres.”

La main achève enfin sa croisière. Jean-Charles rouvre les paupières, dévoilant son regard tranquille et rêveur. Le silence tombe. Un ovni passe. Je suis immobile, impassible. Le moindre geste – avancer ma main vers mon expresso, tourner mon regard vers la fenêtre, porter le poing à la bouche pour toussoter – la moindre interférence nous rappelant à la réalité la plus plate risquerait, par un effet de distance, de transformer l’étrange en ridicule. Je m’accroche. I want to believe. « Voilà. Alors, je vous explique ce qui vient de se passer, commence Jean-Charles. Je reçois des sortes d’impulsions que la Source communique à mon cerveau, et qui guident mon geste. » Il pose son regard sur l’endroit indiqué par la pointe. « Maintenant, je vais découvrir le contenu de l’information que la Source nous présente. » En marge du texte imprimé, des annotations à main levée évoquent une sorte de colline. « Vous voyez cette forme ? Ici, j’observe une falaise. C’est une forme qui revient régulièrement dans mes communications. Le message est que nous sommes en train de tomber de cette falaise. C’est le signe d’un danger imminent lié au christianisme et aux extraterrestres. » Je plisse le front, de l’intérieur pour éviter de vexer mon interlocuteur. Je sais cependant que si je ne choisis pas d’embarquer dès maintenant, je risque de rester sur le quai jusqu’à la fin de notre entretien. Alors, advienne que pourra. Mise en route du magnétophone, absorption de la caféine brûlante, désintégration du spéculos, la démonstration de Jean-Charles peut commencer.

M. Bourquin, en communication avec la Source, lors d’une séance de channeling.

Star Cold Wars

Lectrice, lecteur, pendant que la routine consume votre existence, une sombre menace s’organise derrière les nuages. Ni vous, ni moi ne l’aurons vu venir. Impardonnable cécité. Mais, circonstances atténuantes : ici c’est le Nord, et dans le Nord, on peut en planquer du bazar derrière les nuages ; certains trouvent même carrément moins absurde de croire aux soucoupes volantes qu’à un foutu astre brûlant flottant au-dessus des cieux et dont on ne verrait jamais la couleur d’un rayon. Sachez, toutefois, qu’il n’y pas besoin de voir un alien pour croire aux aliens. Nous baignons dans une réalité qui, à chaque instant, nous crie : « Ils sont là ! ». Comprendre et interpréter ces signaux requiert une sagesse que seuls de rares esprits entraînés comme Jean-Charles Bourquin ou Obi-Wan Kenobi, sont capables d’atteindre. Félicitons-nous d’avoir l’une de ces deux personnes avec nous aujourd’hui.

« J’affirme qu’il y a des présences extraterrestres malveillantes auprès des humains, et ce depuis des millénaires. »

M. Bourquin, alias Kalki, est le dixième lila-avatara de Vishnou. C’est un petit homme courtois de grande valeur qui a voué sa vie à une mission : informer l’humanité sur les forces extraterrestres qui la menacent et dont elle facilite, sans le savoir, l’ignoble projet. Jean-Charles parle beaucoup. D’un ton bienveillant et pédagogue. Il écrit plus encore. Sur la pancarte qu’il brandit à la vue des passants depuis les marches de l’Opéra. Sur son blog Alerte Invasion Extraterrestre, qu’il nourrit quotidiennement d’éléments nouveaux. Sur les courriers alarmants qu’il adresse à Nicolas Sarkozy, Martine Aubry, David Cameron ou à la Commission Européenne afin d’appuyer la mise en place d’un véritable système de défense planétaire. Malheureusement, son message peine à se faire une place sur le terrain boueux du débat politique franco-européen. L’échec est incontestable. Jean-Charles, dans sa dernière vidéo, reconnaît non sans une amère inquiétude : « Ce soir le président de la République François Hollande n’annoncera pas aux Français lors de ses vœux pour l’année 2015 ce dont je l’ai informé depuis de nombreux mois maintenant et qui est très grave : l’invasion de la Terre par un groupe d’extraterrestres qui est en rapport direct avec le christianisme. » Dur.

Il faut cependant reconnaître que la thèse est difficile à avaler, même pour un type qui croit encore à un capitalisme de gauche. Pour vous résumer la situation, la Terre serait convoitée par une armée spatiale constituée d’aliens grisâtres et dirigée par un Jésus Christ réincarné. La stratégie concoctée par ces fripouilles pour nous dérober le précieux globe – moins spectaculaire mais plus sournoise que toutes les spéculations hollywoodiennes – filerait la migraine à n’importe quel Roland Emmerich. « J’affirme qu’il y a des présences extraterrestres malveillantes auprès des humains, et ce depuis des millénaires, m’explique calmement Jean-Charles en agitant la cuillère dans son café. Ces extraterrestres veulent se présenter à nous et se faire passer pour des êtres bienveillants en accord avec Dieu ; c’est une imposture. Ils mentent et se servent, pour faire passer leur mensonge, d’un représentant que les humains considèrent comme un être, plus cher qu’un ami, le Christ, avec une action de grande valeur : sauver l’humanité. »

M. Bourquin manifeste régulièrement dans les lieux publics, pour avertir la population de la menace extraterrestre.

Il me reste une demi-gorgée d’expresso. C’est juste assez pour faire passer l’effarante information. Bon. Maîtrisons nos réflexes de pensée. Je relève un élément de vraisemblance réconfortant : Jean-Charles n’est pas allé jusqu’à prétendre que Jésus était un alien, ce qui serait absurde puisqu’il avait une barbe. Après, que son message n’ait rien d’originellement divin, personnellement, je m’en étais douté. Mais extraterrestre ? Écoutons plutôt. Ces aliens ont traversé la galaxie à la recherche d’une planète, avant de dénicher la Terre. Ils constatent, satisfaits, que cette planète bleue a tout du petit caillou paisible où écouler son éternité : ensoleillement, larges étendues d’eau, satellite inclus. Reste le problème de l’exploitant actuel, l’homme, un être très attaché au concept de propriété. Il a parfois du mal à partager avec des semblables venus de l’autre côté de la rive. Alors avec des dissemblables venus de l’autre bout de la galaxie… Que faire ? La guerre ? Non ! Il s’agit pour nos voyageurs de récupérer les lieux sans trop saccager la moquette. Non, l’idéal serait d’anesthésier totalement l’humanité pour en faire ce que bon leur semble. Le plan adopté est d’une efficacité marketing redoutable : nous convaincre qu’une inéluctable catastrophe est sur le point de se produire afin qu’en qualité de sauveurs de l’humanité, ils puissent disposer du pouvoir sans aucune résistance de notre part. D’une simplicité implacable.

« Nous suspectons l’actuel conseiller en communication de Nicolas Sarkozy de venir de chez eux. »

Nous suspectons l’actuel conseiller en communication de Nicolas Sarkozy de venir de chez eux. Nos hommes sont sur le coup. « Ce sauveur – Jésus – a dit qu’il fallait se préparer à une fin des temps et que, pour être sauvé, il fallait se relier à lui, pratiquer sa pensée, ses préceptes et se préparer à son retour. Jésus dit, je cite, “je suis l’alpha et l’oméga”». Toute cette histoire de soumission au Messie a pour seul objectif d’étouffer notre instinct de défense le plus primaire au point que, dans une ronflante et tiède confusion, nous ne sachions plus distinguer nos sauveurs de nos bourreaux. Jean-Charles a encore quelques clous à planter dans la supercherie christique qu’il dénonce. « Prenons l’Évangile de Jean, dernier livre de la Bible. Il est dit qu’une entité se présente à Jean et lui montre des choses étranges, fantastiques, mais avec un caractère prophétique. Cette prophétie, c’est le retour de Jésus. Or, selon Jean, Jésus revient du ciel… Et il ne revient pas seul. » 

Pas besoin d’être un as en algèbre appliquée pour comprendre que Jean-Charles contre le reste de l’univers, ça fait environ une seconde trente de conflit, coup de balais compris. Même en admettant que je rejoigne le combat. Même si je viens avec des potes. Même si j’ai énormément de potes. La fin est donc proche ? Dieu soit loué, mes amis, nous ne sommes pas seuls dans ce conflit. Jean-Charles, éminent savant en crop-circles, a découvert au cours de ses recherches qu’une partie de ces chefs-d’œuvre de géométrie champêtre portait la signature d’une nouvelle puissance alien, ayant fait son entrée dans le conflit latent qui nous concerne. Qui sont-ils ? Il s’agit d’une alliance militaire extraterrestre, type OTAN, qui s’est émue du sort que réservaient les pro-Jésus à notre peuple. Leur puissance de feu à faire mouiller d’extase Kim Jong-Un suffit pour l’instant à décourager nos potentiels assaillants de toute tentative d’invasion. Mais quelle sécurité illusoire que celle d’un gros rocher plein de flotte perdu au cœur d’une guerre froide extraterrestre…

Jean-Charles Bourquin, très sensible, observe son environnement avec acuité.

Nous avons un message

Des bruits de vaisselle s’engouffrant dans un évier nous ramènent à l’humble dimension du lieu. Je souffle un peu, baladant mes yeux dans le rassurant décor. Nous sommes dans un café, or un café est le lieu idéal pour en apprendre un peu plus sur les autres. Qui êtes-vous M. Bourquin ? Question audacieuse. Je ne l’aurai pas comme ça. Et pas du tout d’ailleurs : Jean-Charles est un homme qui tient beaucoup à son intimité. Que puis-je vous apprendre ? Il est musicien et a enseigné le piano. Aujourd’hui encore, il fige les ondulations de son âme dans de mystérieuses compositions dont la mélodieuse gravité rappelle un peu ce grand créateur qu’il affectionne, M. Eric Satie. Il fut également chercheur en biophysique, activité dont il se repent aujourd’hui. Voilà. C’est tout. La version non condensée de tout ce que je sais concernant M. Bourquin avant qu’il n’ait atteint son « état d’éveil ».

La suite, Jean-Charles vous la conte volontiers. En 2007, il découvre le channeling, sorte de liaison télépathique entre un humain et une entité provenant d’une autre dimension. Il entre en communication avec des humanoïdes from outer space, au premier abord tout à fait sympathiques et fréquentables. Optimisant ses techniques, il parvient même à sonner chez Dieu, ou la Source, et devient alors le Terrien le plus en vogue de la galaxie. J’extrapole. Une foule de contacts pas banals grossissent peu à peu son carnet d’adresses : la Terre, la Mère Univers, les éléments, la matière… Chaque fois que Jean-Charles passe un appel de ce type, c’est pour obtenir des réponses au Mystère du Monde, du sens de la vie, de sa propre existence, questions devant lesquelles nous avons tous capitulé depuis la Terminale. Or, sur ces sujets, les fameux aliens rencontrés en 2007 se révèlent être d’ardents défenseurs des thèses chrétiennes. Jean-Charles se méfie et décide de prendre ses distances. « Je me suis libéré de l’influence de ce groupe fin 2007 car j’ai compris qu’il y avait des choses pas correctes dans le message de Jésus vis-à-vis de Dieu et de la vie, que les aliens pro-Jésus n’étaient pas corrects et que j’avais été abusé par eux ».

Il est musicien et a enseigné le piano. Aujourd’hui encore, il fige les ondulations de son âme dans de mystérieuses compositions dont la mélodieuse gravité rappelle un peu ce grand créateur qu’il affectionne, M. Eric Satie.

Vous vous demandez sans doute comment fonctionne le channeling et si l’application est compatible avec votre iOS ? Sachez que tout est une question de sensibilité et d’attention aux petits phénomènes électriques qui animent votre cervelle. Les messages que vous réceptionnez ne sont jamais énoncés dans une grammaire limpide. Il s’agit d’images ou d’énigmes à déchiffrer « Par exemple, la Source m’a communiqué une image récemment. Celle d’un petit éléphant. Alors moi, j’ai directement pensé aux défenses, à la vie. Je sais également, après de nombreuses discussions avec elle, que je suis Kalki et que mon âme a été celle de personnes ayant vécu en Inde. Cet éléphant y fait également écho. » Vous trouvez ça divertissant ? Réjouissez-vous ! La réalité toute entière foisonne de ces jeux d’énigmes, semés par nos aliens pro-Jésus. Panneaux, statues, inscriptions, petite forme bizarre incrustée dans une brique, tout est signifiant. Programmez-vous une innocente promenade en compagnie de Jean-Charles et vous verrez l’ensemble du paysage urbain se transformer en une gigantesque charade répétant inlassablement le même message, verrouillant sans cesse la même promesse : « Nous venons d’ailleurs, et nous arrivons. »

Effrayant, vous ne trouvez pas ? Ce n’est pourtant pas ce que veulent provoquer les aliens pro-Jésus. Depuis les années soixante, de nouveaux modes de communication spectaculaires leur permettent de toucher une population plus large, biberonnée au buzz et aux images choc : les fameux crop-circles.

M. Bourquin s’inquiète des manifestions extraterrestres autour du palais des Beaux-arts de Lille.

Jean-Charles Bourquin présente une figure d’alien sur la statue du Cardinal Liénart.

Véritables phénomènes médiatiques, ils suscitent fascination et fantasmes, allant jusqu’à obséder des tribus entières de groupies, tous sexes confondus, désireuses de rencontrer ces gentils êtres interstellaires, de les toucher, de les embrasser, de les caresser, allez savoir, le tout dans le respect mutuel. C’est un piège. « Plus de la moitié des crop circles, depuis plusieurs décennies, sont réalisés au Royaume-Uni. Or l’Angleterre est une île. Et l’île évoque la planète isolée dans la mer de l’espace. Les extraterrestres veulent nous communiquer une sorte de message symbolique concernant leur présence et d’où ils viennent. Car l’île est un territoire entouré d’eau, difficile à atteindre. Il faut voler ou flotter pour le rejoindre. »

Charades, crop-circles, les aliens ronronnent également leur message au travers des chansons, des dessins, des œuvres qu’ils inspirent à de pauvres esprits conditionnés. Ils violent nos consciences et notre libre arbitre chaque jour, chaque minute, et de trois mille manières différentes, sans que nous n’en ayons le moindre soupçon. Que faut-il donc faire ? Montrer que nous sommes libres et forts ? Devenir résistants ? Les décourager ? « Exactement ! me félicite Jean-Charles, ascensionnant un nouvel expresso à ses lèvres. Le mot décourager est excellent. Ces gens nous harcèlent, nous dupent, ou nous menacent. Ils enlèvent des gens et massacrent des animaux. Le rapport de force est de nature psychologique. Et c’est psychologiquement que nous parviendrons à les chasser et à… » La soucoupe que Jean-Charles maintenait sous sa tasse de café lui échappe des mains et vient s’écraser sur la table. Nous échangeons un regard complice. Message prémonitoire ?

« Heu… Excusez-moi ? »

Un jeune couple s’est installé à une table voisine. Comme un cheveu sur la soucoupe, le type nous apostrophe en avançant ses coudes.

« Ce que vous dites là, ce que vous parlez, c’est une sorte d’Illuminatis en fait ? Des francs-maçons ? »

Madame tente de disparaître sous elle-même. Monsieur ne se laisse pas démonter et poursuit :

« En fait, ça passe par des rappeurs, par des stars, inconsciemment ils font des choses comme vous dites. Mais, inconsciemment il les font ».

Silence. Jean-Charles tente alors dans un exercice de recadrage virtuose :

« Alors ce que vous dites c’est intéressant mais ce dont moi je parle c’est de la présence extraterrestre… Qui influence de cette façon-là. »

Re-silence. Le type est scié. Comme frappé par l’énormité du discours, lui qui, modéré, allait simplement nous parler du complot Illuminati. Jean-Charle insiste :

« Ces présences extraterrestres, font passer des messages mais les personnes qui les reçoivent ne savent pas qu’un message est passé. Il faut les informer de tout ça pour qu’elles s’en préservent. Car on cherche à nous manipuler. »

« Ben ouais c’est ça. On est manipulé de toute façon »

Conclut avec audace l’inconnu en retombant sur le dossier de sa chaise, signe qu’il capitule.

« On est manipulé, voilà. »

Cette dernière parole de Jean-Charles signe le consensus. Tout le monde fera donc semblant d’être d’accord. Ouf !

L’erreur est humaine

Le ménage à trois consommé, je fais remarquer à Jean-Charles, avec une logique de dictateur sociopathe implacable, que si ces créatures voulaient de notre planète, elles auraient plus vite fait de chercher un moyen de nous éliminer sans saccager pour autant le paysage, non ? « Merci pour votre question », me répond Jean-Charles, l’air serein d’avoir toujours trois coups d’avance. « Nous éliminer serait une faute beaucoup trop grave vis-à-vis de Dieu, qui aboutirait à la destruction de leur planète et de leur civilisation. » N’oublions pas, en effet, que l’univers est l’œuvre de Dieu – amen – et qu’un certain nombre de lois naturelles y font autorité. Audacieux qui chercherez à les braver, méfiez-vous. Toute transgression conduit mécaniquement à une punition proportionnelle à la faute, administrée par Dieu lui-même. Or, comme dans l’espace, il n’y a pas d’angles ou de coins où envoyer bouder les fautifs, c’est à grand coup de ceinturon sul’guiffe qu’il vous fait passer le goût de l’offense. Et un coup de ceinturon céleste, ça équivaut en unités terriennes à un météore perforant la croûte terrestre.

Mieux vaut donc éviter de contrarier le Grand Barbu. C’est pourquoi les extraterrestres pro-Jésus tentent de faire passer la pilule de leurs forfaits, en impliquant notre propre responsabilité. Eh oui ! Si leur plan se déroule comme Jean-Charles nous l’a annoncé plus tôt, ne serions-nous pas en définitive des victimes volontaires ? Des idiots utiles contribuant à notre propre fin ? Des complices ? Si vous trouvez la condamnation un peu rapide, l’élément suivant, en revanche, risque de vous convaincre totalement. Jean-Charles soupçonne ces infâmes manipulateurs de vouloir passer avec Dieu un accord tacite, sur notre dos.

Inventaire de plusieurs résonances physiques de la présence extraterrestre, constatées par M. Bourquin.

En effet, après nous avoir expulsés de la Terre, les nouveaux propriétaires mettraient immédiatement en œuvre une sorte de super plan écologique afin de sauver la planète, faune et flore, de l’inconscient sabordage auquel se livre l’humanité. À terme, Dieu finirait par rappeler ses nuées de sauterelles et accorderait aux extraterrestres, devenus remèdes aux maux de la Terre, le droit de la conserver. « Les aliens n’ont, par exemple, pas besoin de nucléaire. Ils implanteraient un type d’industrie énergétique moins dangereux. Il faut bien comprendre que ces êtres ont appris à connaître scientifiquement les lois de la nature. Ils peuvent mesurer le risque de punition et l’ampleur de celle-ci par rapport aux fautes qu’ils choisissent le cas échéant de commettre. Ils transgressent de manière très calculée et cherchent à impliquer les autres dans leurs fautes. » D’une certaine manière, les aliens pro-Jésus finiraient bel et bien par devenir les sauveurs qu’ils prétendent être.

Une seconde. Cela sous-entend donc que la première menace pour l’humanité, bien avant les aliens, c’est l’humanité elle-même, n’est-ce pas ? Admettons que nous parvenions à décourager nos assaillants. Qu’ils partent ne signifie pas que nous soyons, nous, tirés d’affaire. En effet, si Dieu est prêt à laisser ce crime contre l’humanité impuni, c’est qu’il considère que nos crimes à nous méritent déjà punition. De là à imaginer que, dans un futur proche, il nous fasse payer l’addition de nos méfaits, il n’y a qu’un petit pas pour Dieu et une grande claque pour l’Humanité.

« Nous nous octroyons un pouvoir sur la vie que nous ne sommes pas censés avoir. »

Que faire ? Voter écolo ? Manger bio ? Insuffisant : le problème n’est d’ailleurs pas uniquement écologique. Il concerne notre respect envers la vie elle-même. « Nous sommes responsables de nos inventions vis-à-vis de la vie, de Dieu et de l’Évolution. Actuellement, nos comportements nous éloignent du schéma fondamental de l’évolution. Si nous refusons d’entendre ce que nous sommes profondément, et continuons de ce fait à causer des dommages envers la vie, nous sommes voués à disparaître. Nous devons apprendre à redécouvrir les fondements de la vie, car la vie est déjà faite pour que nous soyons heureux. Cela ne signifie pas revivre comme nos ancêtres préhistoriques, mais maintenir un accord fondamental avec la nature et Dieu. Retrouver une forme de vertu. Et qu’est-ce que la vertu ? C’est être soi-même tel que la vie l’entend. Et qu’est-ce que le mal véritable ? C’est ce qui est transgressif au regard des fondements de la vie. Mal que les scientifiques, par exemple, ignorent et qui affecte de nombreux êtres ainsi que le bon équilibre de la planète. Et Dieu lui-même. Ça fait beaucoup. »

À l’apogée de cette envolée très flower power, une sorte de gourou caché au fond de ma cervelle lâche d’une voix profonde et grave : « Nous nous octroyons un pouvoir sur la vie que nous ne sommes pas censés avoir. » Je sursaute au son inhabituel de ma propre voix avant de chercher du regard le malotru qui s’est exprimé à ma place. Jean-Charles, imperturbable, continue : « Si on manipule le génome du virus – j’ai moi-même travaillé dans la biotechnologie – on porte atteinte au virus, à sa dignité, à son intégrité. Son génome, c’est son intimité. On n’a pas à le transformer, le couper en petit morceaux, lui donner de nouveaux gènes. » D’accord, contentons-nous donc de regarder mourir nos semblables plutôt que de chercher à les soigner… Mon interlocuteur précise son propos : « Lorsqu’une humanité atteint l’état d’éveil et redevient vertueuse, elle est beaucoup moins atteinte par les épidémies. Une épidémie, c’est la nature qui manifeste ses colères, comme actuellement avec le SRAS ou Ebola. D’ailleurs Ebola, cela donne EB, abréviation de Extraterrestrial Being, un L pour les ailes symbolisant le voyage dans l’espace. Enfin nous avons un « o » et un « a », pour alpha et oméga. »

Jean-Charles Bourquin, spécialiste de la question des extraterrestres, a atteint l’état d’éveil en 2008.

Je regarde ma montre. 13 heures. Je réalise que la faim est proche. Jean-Charles, le stylo de nouveau levé, clôt les paupières et lance : « Chère Source… Es-tu satisfaite de mes interprétations ? Merci. » Sortant du café, je suis pris d’enthousiasme par la portée symbolique du récit de Jean-Charles.

Naturellement, chacun y trouvera ce qu’il veut y trouver. Moi, il est temps que je rentre. La Grand Place s’anime devant moi. Je lève la tête et fixe le ciel, essayant, faute de mieux, de me figurer l’insondable infini qui s’étend au-delà. Ma main porte mécaniquement le micro du magnétophone à mes oreilles. Lecture. « Chère source… Est-ce que tu souhaites exprimer quelque chose ici et spontanément ? Merci beaucoup. »